Depuis que j’ai commencé à étudier la peinture, à l’âge de 19 ans jusqu’à aujourd’hui, à l’âge de 54 ans, j’ai appris et je suis toujours en train d’apprendre la magie de la peinture.

Le processus d’élaboration d’une peinture est initié par une intention. Une peinture commence tend à devenir une peinture au moment où elle transcende l’intention.

Une peinture n’est plus une peinture une fois qu’elle devient une peinture.

Son essence est véritablement magique et insaisissable.

Et pourtant, quand nous nous tenons physiquement devant cette peinture parmi d’autres peintures, nous comprenons que c’est une vraie peinture.

Un génie peut facilement atteindre cet état.

J’ai humblement et respectueusement étudié les recettes magiques de peintures que quelques génies nous ont laissées. Elles sont vraiment remarquables, ces recettes magiques. Mais les différents facteurs qui caractérisent les vies de tels génies, de leur lieu d’origine à l’époque où ils ont vécu et à leur statut social, sont tellement différents des miens que je suis incapable d’appliquer immédiatement de telles recettes moi-même.

J’ai tenté d’incorporer certaines des recettes magiques dans mon cerveau, mais elles ne sont pas compatibles; en réalité, parfois elles provoquaient des réactions de rejets.

L’étincelle d’une idée qui m’amènerait à la magie n’arrive jamais. C’est pourquoi, jour après jour, je poursuis avec assiduité mon apprentissage et peins le produit de cet apprentissage.

Cependant quand je regarde en arrière, je réalise qu’il reste une trace de mes propres formules magiques même dans mes annotations picturales d’il y a une vingtaine d’années, celles laissées lors de ces efforts si terriblement laborieux, bien qu’assez dif ciles à comprendre étant si empreintes de pitié sur mon sort et extrêmement déformées- à la différence de celles des génies du passé. Si je rassemblais chacune de ces notes aujourd’hui, elles pourraient constituer une partie d’un cercle magique; un peu de magie pourrait même émerger.

Non, peut-être que cela s’avérera être simplement une tragédie provoquée par ma méprise.

Cependant, cela me donnera l’espoir pour continuer de vivre.

En continuant d’apprendre et de peindre le fruit de cet apprentissage jour après jour a n de ne laisser ne serait-ce que la plus in me des traces, mon espoir de vivre ma vie probablement tragique, la recette pour mon cercle magique de peinture, s’accumule.

Jusqu’au moment où mon corps s’éteindra, dans un futur proche, j’espère continuer à parfaire mon cercle magique qui peut convoquer la magie, à comprendre l’essence de la magie de la peinture, et essayer d’achever la recette pour générer la magie de la peinture.

Les oeuvres de cette exposition sont ainsi également les réminiscences de ce que j’ai appris au long de mon parcours d’apprentissage. A ma façon, j’ai poursuivi mon chemin en toute sincérité, pourtant je suis toujours loin d’arriver à l’essence de la magie telle que je la conçois. Mais je crois que chacune des oeuvres contient quelques fragments de l’essence - même si elles se révèlent être des tragédies! De toute façon, je fais le choix de le croire.

Est-ce que je réussirai vraiment à créer le cercle magique qui peut convoquer la magie, ou est-ce que tout n’est qu’une méprise, et je suis tout simplement en train de vivre une vie tragique? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, comme je le fais depuis toujours, j’apprends la magie de la peinture.

-Takashi Murakami

La Galerie Perrotin Paris est heureuse de présenter, du 10 septembre au 23 décembre, la 12e exposition personnelle de Takashi Murakami organisée avec la Galerie en 20 ans. Réparties dans les trois espaces de la galerie à Paris au 76 rue de Turenne & au 10 impasse Saint- Claude, plus de 40 oeuvres récentes et jusqu’ici jamais exposées ont été spécialement réunies pour cette occasion. Certaines oeuvres ont été montrées récemment lors de la rétrospective majeure de Murakami “The 500 Arhats” qui s’est tenue au Mori Art Museum à Tokyo en 2015, début 2016. Parmi celles-ci se trouvait une peinture monumentale composée de plusieurs panneaux intitulée “A Picture of Lives Wriggling in the Forest at the Deep End of the Universe” (2015), conçue comme une anthologie des thèmes emblématiques de la cosmologie de Murakami, de 727, Gerotan/Mr. DOB, Dragon et la série de Panda, aux animaux mythologiques, lion, éléphant, tigre, chèvre, etc.

Un second ensemble d’oeuvres a pour thème les arhats que Murakami a exploré dès 2012 à travers la peinture de 100m de long « The 500 Arhats » réalisée pour sa rétrospective au Qatar en 2012. Les peintures d’arhats représentent les 500 disciples clairvoyants de Bouddha qui ont atteint l’illumination en dépassant cupidité, haine et illusions, détruisant leur résidu karmique d’existences antérieures. Le culte des arhats, parvenu au Japon pendant la période de Heian (VIIIe -XIIe siècle), a prospéré à travers tout le pays pendant la période d’Edo (XVIIe-XIXe siècle) sous la forme de peintures et de sculptures. L’oeuvre de Kanō Kazunobu “Five Hundred Arhats” (conservée au Temple Zōjō-ji à Shiba, Tokyo), une série de cent peintures sur rouleau réalisées immédiatement après le terrible tremblement de terre de Edo Ansei en 1855, a fortement inspiré Murakami qui, à son tour, a peint son “The 500 Arhats” en réaction au tremblement de terre et au tsunami de 2011, un événement qui a profondément changé l’orientation générale de son travail. Les représentations des arhats présentées lors de l’exposition à Paris sont à la fois continuations et extraits de ce chef-d’oeuvre. Avec une pointe d’ironie, Murakami s’est même représenté en une sculpture robot “Arhat”.

La Galerie Perrotin présentera également une sélection de peintures de la série Ensō. Le sujet de ces nouvelles peintures est un des motifs les plus célèbres dans la peinture japonaise zen, l’Ensō (littéralement, ‘cercle’) symbolise le vide, l’unité et l’in ni dans le bouddhisme zen, tout en étant une forme de méditation. Depuis 2007, Murakami peint les grandes figures du bouddhisme zen: Daruma, le fondateur de l’école Zen, ainsi que la main coupée du moine Eka (Huike), un sacri ce pour son maître Daruma (Bodhidharma) à qui il succèdera. Les peintures Ensō représentent une nouvelle épiphanie pour l’artiste, et sont le fruit d’une pratique spirituelle sereine et constante. L’Ensō est le préalable à tout acte créateur, un moment où l’esprit est libre de laisser le corps créer. Tracé traditionnellement au pinceau en un geste uide et parfaitement maîtrisé, le cercle n’autorise pas le repentir. L’Ensō qu’exécute Murakami est unique, utilisant la peinture en bombe sur les accumulations de fleurs et de crânes qui sont devenus sa signature, ou encore sur la toile laissée brute ou partiellement peinte. L’Ensō est un véritable hommage à la tradition japonaise, un retour à une pratique minimale sans entrave, le fruit d’un cheminement artistique et spirituel complexe.

En n, une nouvelle série de diptyques et triptyques s’inspire de l’oeuvre du maître du milieu du XXè siècle, Francis Bacon. Murakami lui a déjà rendu hommage en 2002 à travers deux peintures, “Homage to Francis Bacon (Study of Isabel Rawsthorne)” et “Homage to Francis Bacon (Study of George Dyer) ». Ces travaux se concentrent de nouveau sur les figures torturées, la chair en mouvement révélant les blessures et les tourments de l’âme, comme dans les portraits de Lucian Freud.

Parmi toutes ces oeuvres, les spectateurs remarqueront plusieurs des motifs et personnages qui ont dé ni l’art de Murakami depuis les vingt dernières années. Le crâne, image qui a toujours fait partie de l’iconographie et de l’univers de Murakami, symbolise l’impermanence de nos vies, comme dans le bouddhisme ou dans la tradition occidentale des vanités. Les crânes peuvent être un élément de la composition des peintures (par exemple un pont fait de crânes sur lequel des lions s’assoient, ou des rochers de crânes sur lesquels différents animaux se tiennent), ou parfois ils animent l’arrière-plan de l’ensemble de l’oeuvre, comme par exemple dans les séries Monochrome ou Ensō. Ils peuvent même être le motif central à contempler.

Certaines des nouvelles peintures sont une citation du peintre japonais du XVIIè siècle, Ogata Kōrin dont les motifs de chrysanthèmes blancs ont profondément marqué Murakami (en 2009 une première série était montrée à la Galerie). Les fleurs se découpent sur des fonds à la feuille d’or ou de platine dans la plus pure tradition japonaise, ici sur des crânes cernés évoquant à nouveau les memento mori.

Les motifs abstraits dans les peintures de Murakami, qui composent parfois l’oeuvre entière, combinent des visions hypnotiques de phénomènes cosmiques avec les réminiscences de l’artiste de l’expressionnisme abstrait, ainsi que des citations d’artistes tels que Cy Twombly, Roy Lichtenstein et Sigmar Polke (dont le style est évoqué par l’utilisation des ‘Ben-day dots’).

En n, les visiteurs remarqueront les apparitions fréquentes du célèbre alter ego de Murakami, Mr. DOB, à la personnalité ambivalente, tantôt aimable, tantôt féroce, dans différents contextes, semblant se métamorphoser à son gré.

Takashi Murakami, docteur en peinture Nihonga, associe les techniques les plus modernes à la précision et la virtuosité de l’art traditionnel japonais. Inspiré des cultures manga et kawaii, son monde irrésistible est peuplé de personnages monstrueux et charmants, descendants facétieux des mythes passés. Sa théorie de l’esthétique Super at qu’il introduit en 2001 lors de l’exposition trilogie dont il est le commissaire (et dont le titre du troisième volet, “Little Boy”, fait référence au nom de code donné à la bombe atomique lâchée sur Hiroshima en 1945) tente de brouiller les frontières entre art populaire et grand art ; elle étudie l’évolution de la condition du Japon post-Hiroshima, ainsi que les liens entre avant-garde, manga, anime et leurs prédecesseurs, les gravures sur bois Ukiyo-e. L’absence de perspective et la bi-dimensionalité de l’art japonais ancien s’in ltrent quel que soit le medium.