Les tranches du barème de l’impôt sur le revenu, le plafond des heures supplémentaires ou des dépenses de services à la personne et des prélèvements obligatoires, celui des ressources pour bénéficier des minima sociaux, le taux des émissions de gaz à effet de serre, la règle des 3 % de déficit public, le barème de l’impôt sur la fortune immobilière, le nombre de trimestres de retraite acquis, les seuils des marchés publics… Qu’ils soient sanitaires, sociaux, financiers, économiques ou fiscaux, les seuils imposent des obligations auxquelles particuliers, groupements, entreprises et États cherchent à échapper 1...

Ainsi, l’actualité économique et financière foisonne d’indicateurs sociaux, de balises, de planchers, de minimas, de maximas, censés encadrer notre bien-être et auxquels nous attachons un intérêt catégoriel direct. Certains seuils sont surveillés par les particuliers et les entreprises comme le lait sur le feu : montant du SMIC, âge de départ à la retraite, taux d’usure ou du livret A, prix du litre de carburant ou de la baguette, tarif du KWH du gaz et de l’électricité, tarif de la consultation médicale, taux d’inflation, limitation de la vitesse autorisée ou de la température dans les habitations… Des seuils, multiples, autoritaires et contraignants, qui conditionnent notre pouvoir d’achat, modifient nos comportements, nos habitudes et nos projets, entre autres, notamment en cette période anxiogène… Il ne se passe pas un jour où on ne les remet pas en cause pour les contester, dans les médias, dans la rue (le samedi, de préférence) ou dans les hémicycles ! Le débat politique, se résumerait-il à une question de seuils à réformer, à atteindre ou à ne pas dépasser ? Les seuils chamboulent notre vision de l’avenir et révoltent dans moult domaines. Il en est ainsi chaque fois qu’un gouvernement alloue un avantage aux uns, en retirant, parfois brutalement, un acquis aux autres, ou lorsqu’il entend favoriser une catégorie de citoyens ou de consommateurs, au détriment d’une autre, par exemple... via des chèques, des primes, des crédits d’impôt…

Le seuil, cauchemar des décideurs, des députés et des prévisionnistes

Quel qu’il soit et quels que soient les domaines où il tranche (économie, social, sanitaire, climatique, environnemental), le seuil oppose des catégories sociales : les jeunes aux vieux, les pauvres aux riches, les urbains aux ruraux, les assistés aux non-aidés, les taxés aux non-imposables, entre autres. Lorsqu’une minorité s’ingénie à imposer des limites à une majorité ou une minorité de récalcitrants, ces derniers s’évertuent à les combattre, légalement ou non, pour en fixer d’autres, tout aussi arbitraires. Ainsi, les seuils opposent durablement les électeurs et les citoyens. Ceux qui sont au-dessus et ceux qui sont au-dessous et notamment, ceux qui les côtoient. Tout seuil invite alors celui qui le subit à le contourner, dès institué ou simplement esquissé, via la représentation publique, européenne, nationale ou locale, le lobbying, les influenceurs et la publicité sous toutes ses formes…

Si les seuils divisent les citoyens, les supprimer, fâche

Les effets de seuil, à y regarder de près, ne sont-ils pas responsables des clivages sociétaux ? Si les créateurs de seuil s’en donnent mathématiquement à cœur joie pour tenter de remédier aux impondérables, aux injustices, aux déficits, en segmentant les populations concernées, les abolir n’est pas une mince affaire, à l’instar des conditions d’accès aux allocations chômage ou de la modification des régimes spéciaux de retraite. Sans oublier, ceux en vigueur, tout au long de la crise sanitaire que nous avons vécue, par exemple : nombre maximum de personnes lors d’un rassemblement, âge de vaccination, nombre de places en réanimation, etc.

In fine, les seuils des uns contrarient ceux des autres

Toute création ou de modification d’un seuil, régente-t-il nos comportements, consciemment ou non ? Dans l’affirmative, il est certainement à l’origine de maints mouvements sociaux qui ont compté dans l’histoire de l’humanité lorsqu’on a franchi la ligne rouge, concept cher aux équilibristes. Au départ, les tenants du seuil cherchent à réduire, voire à abolir, les inégalités de chance, de revenu, de richesse, de santé et de niveau de prise de risque. En définitive, le seuil voudrait corriger les infortunes de naissance et les accidents de la vie par une redistribution de la valeur ajoutée collective créée en amont. Mais sans forcément les abolir ! Les équarrisseurs de seuils prônent ou promettent, au bout du compte, un égal accès à la consommation des richesses terrestres, que l’on soit productif ou non. C’est de bonne guerre ! Leurs contradicteurs crient, haut et fort, que les ponctionnés à la marge ne seront plus incités à jouer collectif et, qu’avec le temps, la part du gâteau émiettée de chacun s’amenuiserait...

Le seuil, un défi pour les chauds partisans de la proportionnalité ?

Le seuil entretient naturellement la fronde des exclus par son insuffisance ou son excès et autorise à remettre en cause les acquis sociaux, chèrement acquis. Observons que nombre de syndicats, de politiciens, de philosophes, de révolutionnaires, d’associations, d’économistes, de fraternités, d’influenceurs ou d’opposants, n’ont de raison d’être, que dans la lutte contre les seuils en vigueur, pour en exiger, dare-dare, d’autres, puis d’autres, encore. Leur vocation commune : bouter le seuil, faute de trouver le bon une fois pour toutes.

Touche pas à mon seuil !

Dans ce contexte comparatif à plus d’un titre, la guerre des seuils accapare beaucoup de notre temps et d’énergie. Pour les uns, un seuil à surveiller, un seuil à préserver, un seuil à doléances. Pour les autres, un seuil à combattre, un seuil de colère, un seuil de revendication, un seuil de guerre. Le seuil de tolérance (à la douleur) est sans doute celui qui est le plus difficile à appréhender et à jauger, mais mériterait d’être pris en compte, prioritairement par ceux qui nous les imposent !

PS. Le chef de l'État a annoncé 2 milliards de baisses d'impôts pour les classes moyennes. La piste privilégiée passerait par les allègements de charge ou la prime d'activité, selon nos informations. Compte tenu des contraintes pesant sur les finances publiques, cela revient à enterrer définitivement la baisse promise de l'impôt sur les successions (Les Echos du 15 mai 2023).

Notes

1 Selon un sondage Cluster 17 pour « Le Point », trois Français sur quatre jugent le système fiscal injuste. Les classes moyennes s’estiment particulièrement lésées.