Entretien avec Thomas Faucher, Directeur du Centre d’Études Alexandrines (CEAlex), propos recueillis par Fanny Bancillon.

L’Égypte abrite bien des mystères. Elle a inspiré et inspire encore les plus grands savants qui tentent, tant bien que mal, de déchiffrer ses secrets. Interview de Thomas Faucher, directeur du Centre d’Etudes Alexandrines qui évoque ce pays millénaire.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que l’objet de vos recherches ?

Je suis originaire de Niort. J’ai, plus précisément, grandi à Fressines. J’ai travaillé non loin à Melle, au sein de la radio D4B où j’ai animé une émission de radio. J’ai également travaillé sur les mines d’argent afin de faire des expérimentations archéologiques car ma spécialité première est la monnaie ancienne. Je me suis très tôt spécialisé sur l’étude de l’économie ancienne et principalement de l’économie égyptienne d’époque gréco-romaine. J’ai travaillé dès 2000 à Alexandrie sur les monnaies qui étaient sorties des fouilles archéologiques. Par la suite, j’ai fini ma thèse à la Sorbonne, intégré l’IFAO (Institut français d'archéologie orientale) au Caire pendant deux ans avant d’être recruté au CNRS. D’abord dans un laboratoire à Orléans spécialisé sur l’archéométrie (analyse des objets archéologiques) puis à Bordeaux. Je me suis installé à Alexandrie il y a deux ans où j’ai continué mes recherches sur la ville ancienne et je suis devenu Directeur du Centre d’Études Alexandrines en janvier 2023. Je venais régulièrement à Alexandrie pendant mes recherches car le fondement de ma thèse portait sur le matériel des fouilles françaises alexandrines. Je suis donc archéologue de formation spécialisé sur la monnaie ancienne.

Pourquoi avez-vous choisi cette branche de recherche ?

J’ai toujours été intéressé par l’Égypte ancienne. Quand j’étais en Master à l’Université de Poitiers je cherchais un sujet de Master. Pascale Ballet venait d’arriver en tant que professeur. Anciennement membre à l’IFAO, elle menait ses recherches sur l’Égypte gréco-romaine. J’étais tombé sur un livre qui parlait de monnaies égyptiennes. Il indiquait qu’il y avait beaucoup de travail à faire puisque de nombreux systèmes restaient incompris. J’ai pensé que ce serait un beau sujet de recherche. J’ai eu la chance de rencontrer mon maître, Olivier Picard, qui fut mon directeur de thèse. Il était lié à Jean-Yves Empereur, fondateur du Centre d’Études Alexandrines. Les deux hommes ont gardé de très bonnes relations. Olivier Picard est venu travailler sur les monnaies à Alexandrie. Lorsque nous nous sommes rencontrés, il m’a proposé de venir travailler sur les monnaies des fouilles. C’est ainsi que très tôt, dès le Master, j’ai commencé à travailler sur ces sujets puis j’ai continué.

Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous vous êtes rendu à Alexandrie ?

J’ai rencontré Olivier Picard à Paris lorsque j’étais encore étudiant à Poitiers. Après un long entretien, il m’a dit : « Je pars dans un mois à Alexandrie, voulez-vous m’accompagner ? ». J’ai évidemment accepté. Je suis arrivé dans cette ville que je connaissais assez mal car j’étais aux débuts de mes études. C’est une ville particulière car son passé historique est extrêmement fort : tout le monde connaît le phare d’Alexandrie. C’est aussi une ville où les bâtiments anciens sont presque « invisibles », contrairement au reste de l’Egypte. Il y a très peu de sites archéologiques, on trouve surtout des catacombes (tombes anciennes). Un fantasme demeure autour de la ville ancienne qui a pourtant complètement disparu. Il y a plus de vingt ans quand je suis arrivé à Alexandrie, il y avait encore ce fort esprit de communautés, grecques, italiennes, arméniennes. Cet état d’esprit a fondé l’Alexandrie de la fin du 19ème et de la première moitié du 20ème siècle. Cela est en train de disparaître un petit peu puisque maintenant Alexandrie c’est 6 millions d’habitants, une ville donc énorme qui a englouti ce passé historique. Mes sentiments étaient exaltés, je sortais de Poitiers, il s’agissait de mes premières recherches à l’étranger donc c’était un moment très riche en émotions. J’ai eu la chance d’être accueilli par Olivier Picard mon maître qui a disparu il y a malheureusement une dizaine de jours, et Jean-Yves Empereur qui a été extrêmement bienveillant. Je me suis vraiment senti intégré à l’équipe dès le début.

Qu’avez-vous découvert au fil de vos recherches ?

J’ai travaillé à Alexandrie sur ses monnaies. C’est un travail relativement ingrat puisque ce sont des monnaies de fouille qui sont généralement très mal conservées car elles sont restées très longtemps dans le sol. Malheureusement on découvre peu de trésors quand on travaille sur les monnaies de fouille. J’ai travaillé sur d’autres régions de l’Égypte. J’ai notamment dirigé des fouilles dans le désert égyptien avec une équipe sur les mines d’or du désert oriental. Nous avons redécouvert des sites peu ou pas connus. Nous avons pu les fouiller en travaillant sur le fonctionnement des mines anciennes d’époque hellénistique. Ce sont des découvertes exceptionnelles qui font avancer les recherches avec des choses peu connues. Ce qui nous fait avancer c’est le fait de découvrir des choses peu connues ou incomprises.

Avez-vous un exemple à nous donner ?

Ce qui m’a le plus touché c’était ce travail dans les mines anciennes. Les mines anciennes d’époque ptolémaïque sont des galeries creusées dans la roche, perdues au milieu du désert entre le Nil et la Mer Rouge. Nous avons redécouvert un panier en osier intact datant du 3ème siècle avant Jésus-Christ. Un panier qui avait donc plus de 2000 ans. Il faut se mettre à la place des ouvriers qui étaient là-bas à cette époque. Retrouver un tel objet nous donne l’impression qu’ils étaient là hier. C’est un sentiment particulier, assez exaltant.

Pouvez-vous nous parler du phare d’Alexandrie, considéré comme la septième merveille du monde ?

Alexandrie est fondée par Alexandre le Grand dans les années 330. Il va sur le terrain d’Alexandrie qui, à l’époque, est vraisemblablement un village de pêcheurs où il n’y a pas de ville. Il dessine les contours de la ville. On connaît cela par les textes. Il dit « Je veux édifier la capitale de mon empire à cet endroit-là ». Alexandre part d’Alexandrie en 331, il ne reviendra qu’après sa mort quand sa dépouille sera ramenée par Ptolémée I. Il ne reverra donc jamais la ville. Alexandrie sert de base à la capitale dès lagide de Ptolémée I. Ce dernier était un des généraux d’Alexandre, il a donc fait toutes les campagnes d’Asie et à sa mort, le royaume d’Alexandre est divisé en plusieurs parties. Ptolémée I hérite de la partie égyptienne et il comprend très tôt qu’il va y avoir des luttes entre ce que l’on appelle les diadoques, les différents héritiers du royaume d’Alexandre. Il érige donc Alexandrie en place forte et en centre du commerce méditerranéen ce qu’elle va devenir au cours des siècles suivants. Il comprend très tôt le potentiel de la ville d’Alexandrie qui fait l’interface entre l’intérieur du pays qui produit énormément de blé, plaque tournante du commerce, et la Méditerranée orientale avec la côte phénicienne très active et le reste de l’empire. C’est un royaume qui devient vite extrêmement riche. Il récupère une partie du trésor d’Alexandre et le pays en lui-même est bien géré par Ptolémée 1. Les revenus sont donc importants. Il décide d’ériger à la fin de son règne, environ dans les années 280, ce grand phare qui est une construction absolument énorme de plus de 100 mètres de haut avec une ingénierie extrêmement développée. Dans les textes il est dit qu’on pouvait voir le phare d’Alexandrie à plus de 100 km. Nous doutons un peu des interprétations. C’est aussi un monument d’apparat que Ptolémée initie mais qui ne sera fini que sous son successeur Ptolémée II. La construction dure a priori une quinzaine d’années. Ptolémée II inaugure ce phare d’Alexandrie qui restera en place jusqu’au 14ème siècle. C’est un monument qui a eu une durée de vie extrêmement longue.

Comment peut-on expliquer, encore aujourd’hui, cette aura de la ville et même du phare ?

C’est une question à laquelle on a dû mal à répondre. Alexandrie était, après Rome, la plus grande ville du bassin méditerranéen à l’époque antique. Les chiffres ne sont évidemment pas sûrs mais on considère qu’il y avait presque 1 millions de personnes à Alexandrie à la fin de l’époque ptolémaïque ou au début de l’époque romaine. C’est une mégalopole avant l’heure. C’est également une ville très importante d’un point de vue historique, scientifique puisque Ptolémée I et II vont accueillir à la cour d’Alexandrie de nombreux savants ainsi que des artistes. Ce qui va devenir la bibliothèque et le musée, vont développer les sciences allant de l’astronomie à la médecine. Alexandrie à l’époque hellénistique a un rayonnement international extrêmement fort qui la place quasiment au niveau de Rome. Il y a déjà ce fait que durant l’Antiquité beaucoup de textes existent sur Alexandrie et relatent la splendeur des bâtiments, la magnificence d’Alexandrie qui est à mettre en opposition à Rome, moins clinquante. Alexandrie est vraiment une ville hellénistique, orientale très riche et exubérante. Rome est monumentale mais affiche moins cet apparat. Dès l’époque moderne, quand Napoléon arrive avec l’expédition d’Égypte à Alexandrie, il y a ce fantasme de retrouver la vie ancienne. La ville moderne au 19ème et au début du 20ème siècle a été reconstruite sur ce fantasme de la vie ancienne. Je pense qu’il y a à la fois le fait que la ville était connue dans notre société pour être une ville extrêmement brillante et le grenier à blé du monde romain. Et puis, à l’époque moderne, cette survivance de l’époque antique. Il y a donc un vrai attrait pour la ville d’Alexandrie. Il y a quand même une spécificité française : les recherches du Centre d’Études Alexandrines et le travail pionnier mené par Jean-Yves Empereur dans les années 90 ont été extrêmement médiatisées : il y a eu des documentaires qui ont marqué une génération de personnes, une grande exposition au Petit Palais à Paris qui a été très visitée. Il y a une spécificité française car c’est une équipe française qui travaille sur le phare. Je pense que vous aurez moins cet attrait pour le phare d’Alexandrie en Angleterre ou en Allemagne par exemple.

Que raconte le phare ou même Alexandrie sur notre civilisation ?

Alexandrie est un endroit de brassage formidable. C’est un aspect qu’on retrouve à la fin du 19ème et au 20ème siècle. C’est une ville à la frontière de l’Éypte et du monde méditerranéen. Alexandrie, à l’époque grecque, est considérée comme à l’extérieur de l’Égypte car elle était en dehors du delta du Nil qui était vraiment considéré comme la source de l’Égypte. Cette ville un peu à l’extérieur est vraiment à l’interface de ces deux mondes : le monde méditerranéen et le monde égyptien. Le fait qu’il y ait eu dès l’époque antique, ce brassage de population qu’on peut retrouver à l’époque moderne, parle aux gens. Quand on pense « cosmopolite » je pense qu’Alexandrie vient à l’esprit comme la ville phare, la ville lumière de cet aspect de mélange des civilisations, mélange des arts.

En quoi les recherches menées peuvent inspirer les générations futures ?

Ce que nous essayons de faire au Centre d’Études Alexandrines c’est de sauver ce qui peut l’être. Et c’est ce qu’à essayer de faire Jean-Yves Empereur dès les débuts du CEAlex. Nous sommes dans un pays où la démographie explose, l’urbanisation est extrêmement dense. Quand le service des antiquités a demandé à Jean-Yves Empereur de travailler sur les fouilles sous-marines, son idée était de sauver ce qui pouvait l’être : l’emplacement du phare était connu puisqu’il est remplacé maintenant par un fort construit au 15ème siècle. Le Phare était plus ou moins en-dessous, ce qui fut prouvé par les fouilles archéologiques. Notre but et ce que l’on souhaite léguer aux générations futures ce sont les données sur le patrimoine de la ville. L’urbanisation de va pas s’arrêter. On peut penser que les travaux qui ont déjà été menés ainsi que ceux que nous menons serviront de socle à une interprétation future de la ville.

D’un point de vue technique, comment se passent les autorisations de fouilles ?

L’Égypte est un pays extrêmement accueillant pour les missions étrangères puisqu’il y a annuellement à peu près par an 300 missions étrangères sur tout le territoire égyptien. C’est le pays où il y a le plus de missions étrangères au monde. Les demandes sont assez simples : nous les faisons tous les ans, auprès du Ministère du Tourisme et des Antiquités pour fouiller à tel endroit, avec telle équipe. Le Comité Permanent de ce Ministère statut sur notre demande. Ces demandes vont à la Sécurité Intérieure et aux Militaires. Une fois que nous avons obtenu toutes ces autorisations, nous pouvons fouiller.

Que conseillez-vous de lire pour mieux cerner Alexandrie ?

Si les gens veulent mieux connaître Alexandrie, il faut aller sur notre site internet, www.cealex.org. Il y a énormément de ressources sur nos travaux sur Alexandrie car le Centre d’Études Alexandrines travaille sur l’Alexandrie antique, mais aussi sur la ville médiévale et moderne. Le site propose une section sur des livres rares et anciens. Beaucoup de livres sont donc numérisés sur les fouilles anciennes. Un livre qui reste d’actualité est « La gloire d’Alexandrie », le catalogue d’exposition rédigé par Jean-Yves Empereur montrant ses grandes découvertes à la fin des années 1990. Il reste un ouvrage extrêmement important pour la connaissance de la ville ancienne. La littérature égyptienne notamment la littérature moderne sur l’Égypte ancienne est extrêmement riche. Dans notre bibliothèque nous possédons 20 000 ouvrages, et à l’IFAO il y a en a 100 000. Il existe une ferveur assez française autour de l’Égypte. Le fait que ce soit Champollion qui ait réussi à déchiffrer les hiéroglyphes doit sûrement jouer.