Né en 1917, Georges Arnaud est connu pour son livre Le Salaire de la peur, adapté à l’écran avec Yves Montand. Écrivain mais aussi journaliste, militant, baroudeur… Et accusé de parricide.

Georges Arnaud nait Henri Girard. Georges, prénom de son père et Arnaud, nom de jeune fille de sa mère qui décède alors qu’il n’a que six ans. Presque surdoué, il excelle dans les matières littéraires et le droit. Intelligent et drôle, il est aussi tapageur, dépensier, fantaisiste. En grandissant, ses relations avec son père ne sont pas au beau fixe : c’est pourtant lui qu’il va consulter dans son château à Escoire quand, en 1941, il souhaite passer le concours du Conseil d’État, après avoir été réformé de l’armée. S’il l’obtient, il devra alors prêter allégeance au maréchal Pétain. Sa nature de rebelle s’y refuse.

Meurtrier ?

La bâtisse familiale est belle et grande, avec un gardien : le couple Taulu. Ce sont eux qui voient débarquer un matin, débraillé et à toute allure, Henri. Il est hébété : son père, sa tante et leur domestique Louise ont tous trois été sauvagement assassinés la nuit précédente, à coups de serpe. Lui ? Intact, il n’a rien entendu et dormait comme un loir.

C’est commun : les suspicions policières se tournent en premier lieu vers la famille, surtout quand il n’y a pas de trace d’effraction et que celle-ci était sur place, survivante. Henri était toujours à court d’argent, affublé d’une épouse qui suscitait la désapprobation de son père, avec lequel il s’entendait mal. Il avait déjà prétendu être enlevé pour soutirer de l’argent à sa tante. Sa personnalité, sa froideur face à ces décès, sa vie, tout attire les suspicions.

Il n’y a ni témoin, ni mobile contre les Girard qui, bien que riches, étaient une famille sans histoire. Aucune trace d’effraction. A la limite une fenêtre de toilettes, trop petite pour que quelqu’un s’y glisse. Pas de bruit dans la nuit, pas de visiteurs étrangers au village. Un fait dérangeant : une blessure à la main d’Henri fait penser aux trois vis tenant le manche de la serpe ayant servi comme arme du crime. Mais peut-on vraiment qualifier ce mince élément de preuve ?

L’enquête inculpe pourtant Henri. Son avocat, le célèbre orateur Maurice Garçon, montrera au procès qu’elle a été menée entièrement à charge. Il est l’unique suspect considéré. Il sera acquitté sur cette base, après 19 mois de prison : aucune autre option n’a même traversé l’esprit des policiers.

Écrivain ?

Libre, Henri se remarie et dilapide l’héritage familial tâché de sang : plus pour les autres que pour lui, il est vrai. Criblé de dettes, il part se faire oublier en Amérique du Sud.

Il y vit une vie à la Conrad, à la Rimbaud. Bourlingueur, il écume le continent, multipliant les métiers, la plupart dangereux, voire illégaux. Il revient en métropole en 1950 et publie le Salaire de la Peur, prétendument tiré de sa vie en tant que conducteur de camion de transport de nitroglycérine. Livre connu : il aura un succès retentissant en France et outre-mer et sera porté à l’écran par Yves Montand. Il remporte plusieurs prix, dont la prestigieuse Palme d’Or.

Défenseur des opprimés ?

1957 : Henri Girard, rétabli dans l’opinion publique, publie le manifeste Pour Djamila Bouhired. Un autre nom sur le document : celui de Jacques Vergès, avocat ayant défendu de nombreux militants indépendantistes, des chefs d’Etat africains, Klaus Barbie et le terroriste Carlos. Ce petit fascicule fait couler de l’encre : il dénonce la torture comme arme de guerre de l’armée française.

Djamila est une combattante du Front de libération nationale (FLN) algérien, capturée pendant la bataille d’Alger, torturée et condamnée à mort pour avoir posé des bombes. Jacques Vergès la défend et obtient la commutation de sa peine. Ce manifeste, avec quelques autres écrits, alerte alors l’opinion publique sur les tortures et mauvais traitements infligés aux indépendantistes algériens.

L’indépendance de l’Algérie : Henri Girard en fait son cheval de bataille et sera arrêté pour avoir refusé de donner les emplacements et les organisateurs des conférences de presse indépendantistes. De grands noms protestent face à cette tentative de violation du secret professionnel des sources journalistiques : Louis Aragon, Jacques Prévert, Jean-Paul Sartre… En procès devant l’armée, il est condamné à deux ans de prison avec sursis. Un verdict annulé par la Cour de Cassation.

Henri s’installe alors en 1962 en Algérie et assiste à l’indépendance pour laquelle il s’est tant battu. Il contribue à créer une école de journaliste et le Centre du cinéma. Atteint de tuberculose, il est contraint de rentrer en France pour se faire soigner. Il meurt en 1987 : on ne saura jamais s’il a vraiment tué son père ou transporté de la nitroglycérine sur les routes américaines. Homme aux multiples visages, il aura passé le reste de sa vie à racheter ses errements de jeunesse.