La Galerie Perrotin, Paris, présente la première exposition française du peintre sud coréen Chung Chang-Sup (Cheongju, 1927- Séoul, 2011). Les oeuvres exposées ont été réalisées entre 1985 et 2005. Chung Chang-Sup travaillait en série fixant sur la toile des mélanges de matériaux qui l’apparentèrent initialement à l’art informel et aux matiérismes occidentaux. Il a réalisé la plupart de ses toiles en utilisant le hanji. Ce papier coréen réalisé suivant un long processus de fabrication à partir de fibres de mûriers à papier est un des matériaux les plus traditionnels de Corée.

Figure incontournable de la scène contemporaine coréenne, Chung Chang-Sup sort diplômé du College of Fine Arts, Seoul National University, Corée en 1951. Ses premières peintures, à l’huile, explorent une part du modernisme occidental ; la question de la forme telle que les cubistes l’avaient envisagée et celle de la matérialité de la peinture que l’art informel d’après-guerre expérimente abondamment. Son oeuvre toujours curieuse de l’Occident concourra cependant à forger des caractères identitaires coréens supplantant les empreintes laissées par la domination des cultures sino-japonaises après la libération en 1953.

Dans les années 1970, Chung Chang-Sup co-fonde avec ses contemporains Lee Ufan, Chung Sang-Hwa, Ha Chong-Huyn, Park Seo-Bo, Yun Hyong-Keun, le groupe Dansaekhwa littéralement « l’école du blanc ». On dit que l’esthétique de la porcelaine blanche de la période Joseon (1392-1910), illustrant à sa manière la pensée confucéenne coréenne, caractérisée par sa sobriété et la beauté de ses formes simples, aurait inspiré l’esthétique dite « méditative » au mouvement. Chung Chang-Sup titre parfois certains tableaux de jeunesse White Porcelain.

Les membres de Dansaekhwa pratiquent le monochrome, utilisent une gamme chromatique restreinte de blancs, de noirs et de beiges qui est la couleur même du hanji utilisée à partir de 1975 par Chung Chang-Sup et qui devient, d’une certaine manière, sa signature. La série Tak – du nom du mûrier à papier – travaillée dans les années 1980 et inaugurant l’exposition, illustre ce caractère. Le hanji ne lui sert pas seulement en tant que matériau intégré au support, il lui sert à former de délicates altérations à la surface de ses applications particulièrement denses qui recouvrent la toile en réalisant des empreintes de ses froissures. Il préserve ainsi la trace mobile du geste et du travail qui délivre, en surface, la charge vibratoire de l’acte créateur.

La série Méditation, inaugurée dans les années 1990, renouvelle son travail de la surface à travers un ensemble de gestes maitrisés qui lui permettent d’ « ouvrir » la peinture vers « l’espace pur » et monochrome du tableau, suivant le rythme même de l’acte méditatif. La matière et ses altérations recherchées forment le tableau chez Chung Chang-Sup. Elle sédimente le temps de création en faveur du principe de modération ancré dans la philosophie coréenne. Le tableau est amené à sa forme ultime au terme d’un long processus de travail qui s’opère comme une méditation, dont chaque degré d’élévation ou de transformation serait signalé.

À travers cette série, il révèle l’espace pictural en bordant ses compositions d’une zone de matière particulièrement dense, en relief. Il réserve paradoxalement un traitement plus lisse à des « figures quadrangulaires, monochromes, creusant ainsi l’espace au centre du tableau. Cette bordure correspondrait au seuil des limites physiques inhérentes à la matérialité du monde traversée dans l’art de la méditation comme on traverse ce premier plan pour accéder à l’espace pur de la peinture. La simplicité apparente de ces compositions, que l’on dit parfois inspirées du minimalisme, questionne ainsi la profondeur infinie du tableau qui équivaut au paysage intérieur. Pour Yoon Jin-Sup, professeur à l’université Honam, critique d’art et commissaire de l’exposition « Le Dansaekhwa, peinture monochrome coréenne » en 2012 au National Museum of Contemporary Art, Gwacheon, en Corée du Sud, « Ses créations se situent dans une perspective écologique, cosmologique et terrestre diamétralement opposée à celle, formaliste, des Occidentaux ».

La série Méditation fut travaillée par l’artiste jusqu’à son décès en 2011. Elle comporte de nombreuses variations. Les toiles s’organisent presque toujours suivant un rapport binaire entre le premier et l’arrière plan vécu comme abîme soustrayant aux modulations de matières, un travail de la couleur qui annonce à l’infini, au loin, ses sources lumineuses. La série Return, des années 1970, bordant à l’encre noire, l’infini blanc du tableau, constitue la genèse de sa pensée à travers laquelle Chung Chang-Sup invite le regardeur à la contemplation du vide, réceptacle, désormais, de nos propres méditations.

Une telle proposition rejoint celles antérieures formulées par exemple par Kasimir Malevitch en 1915, par Yves Klein au milieu des années 1950, par Sam Francis au début des années 1960, qui, tous trois et distinctement, avaient conféré à l’espace pictural monochrome des valeurs spirituelles mais aussi cosmogoniques.

L’oeuvre d’art chez Chung Chang-Sup doit être le résultat d’une osmose avec la nature, la création, cette expérience méditative transformatrice dont la durée est parfois restituée par un réseau de lignes compartimentant la toile en carrés, agissant comme des séquences temporelles clairement définies.

Chung Chang-Sup écrit dans ses notes du 19 août 1992 : « mon travail démarre seulement une fois que les méthodes préexistantes, les formes et les normes ont été totalement éliminées. De la même manière qu’un artisan se découvre à travers son travail, je découvre un monde (la réalisation d’une peinture) où toute peinture (intentionnelle) est absente, tout en appréciant la liberté spirituelle liée à l’abandon de toute connaissance, intentions, souvenirs de mon enfance et détails oubliés. Mon espoir et mon désir sont de découvrir un autre moi (à travers ces activités). »

Les oeuvres de Chung Chang-Sup ont été montrées en Corée du Sud, au Japon, aux Etats-Unis, en Australie, en Chine, à Taïwan, en France… et figurent notamment dans les collections du National Museum of Contemporary Art, Korea, Gwacheon, Corée ; Seoul Museum of Art, Seoul, Corée ; Busan Museum of Modern Art, Busan, Corée ; Daejeon Museum of Art, Daejeon, Corée ; Leeum, Samsung Museum of Art, Seoul, Corée ; Royal Nepal Museum, Népal ; Tokyo Metropolitan Art Museum, Tokyo, Japon ; Mie Prefectural Art Museum, Mie, Japon ; Shimonoseki City Art Museum, Shimonoseki, Japon ; Hiroshima City Museum of Contemporary Art, Hiroshima, Japon…

Son oeuvre est actuellement visible dans l’exposition « Dansaekhwa » présentée au Palazzo Contarini-Polignac jusqu’au 15 août 2015, dans le cadre de la 56ème Biennale de Venise. À l’occasion de l’Année de la Corée en France (2015-2016), une importante exposition dédiée aux artistes coréens - dont Chung Chang-Sup, aura lieu au musée Cernuschi à Paris: « De Lee Ungno à Lee Ufan: Les artistes coréens en France » (16 octobre 2015 - janvier 2016).

Charlotte Waligòra