Alors que l'octroi d'un important soutien financier à la Tunisie par le Fonds monétaire international (FMI) est bloqué, suite au refus du président Kaïs Saïed d'accepter les conditions du FMI, le "mémorandum d'entente sur un partenariat stratégique et global entre l'Union européenne et la République tunisienne", entendu comme "Accord UE-Tunisie", a été signé le 16 juillet 2023. Il y est envisagé de renforcer la coopération existante pour le redressement économique de la Tunisie et de mettre en place un contrôle accru des flux de migrants irréguliers arrivant en Europe par la Tunisie. L'accord prévoit également l'octroi d'une contribution financière à la Tunisie.

En effet, depuis la signature du mémorandum, une opposition soudaine et énergique s'est manifestée au niveau international, notamment de la part des associations humanitaires, accusant Saïed de ne pas respecter les droits de l'homme des migrants. Une situation étrange et complexe où la Tunisie est accusée de racisme. Des plaintes ont également été adressées à l'UE et à l'Italie, considérées comme co-responsables de ces actions. C'est pourquoi, avant de porter un jugement, il est essentiel de lire le contenu du "mémorandum" après un bref examen de la situation économique, politique et sociale locale. Ce n'est qu'ainsi qu'il sera possible de comprendre s'il existe une motivation valable pour le refus actuel du financement du FMI dans les conditions fixées par le FMI et si ce refus est soutenu par l'existence d'autres alternatives économiques possibles pour la Tunisie, et enfin sur les motivations qui ont poussé l'UE, avec une forte intervention de l'Italie, à soutenir le pays du Maghreb en fixant également les conditions d'un contrôle fort sur les flux migratoires.

L'escalade du pouvoir présidentiel

Le président Saïed, après le fort abstentionnisme lors des dernières élections de décembre 2022 et du second tour de janvier 2023, semble s'être de plus en plus éloigné du peuple qui l'avait initialement élu avec un très fort consensus à son égard. Ce revirement a certainement été provoqué par le fort tournant autoritaire qu'il a pris, qui a commencé par la suspension du parlement et s'est poursuivi par la dissolution ultérieure du parlement et du Conseil supérieur de la magistrature, l'émission de décrets présidentiels et l'arrestation de dissidents politiques, y compris Rached Ghannouchi, le leader historique du parti Ennahda 1, qui a été arrêté le 17 avril 2023 et condamné à un an d'emprisonnement le 15 mai. Cette mesure a été justifiée par le président Saïed par la déclaration d'un danger imminent menaçant l'intégrité, la sécurité et l'indépendance du pays, et en même temps par la volonté d'abolir la corruption rampante qui existe.

Crise économique

La nouvelle politique autoritaire et le blocage manifeste du processus démocratique, qui émergeait difficilement après le Printemps arabe, ont eu pour conséquences immédiates une chute brutale des activités industrielles, artisanales, agricoles, touristiques et commerciales, ce qui a encore aggravé l'économie déjà faible du pays. En peu de temps, la Tunisie a donc connu un effondrement économique, dû en grande partie à un manque total de confiance dans l'investissement de la part des étrangers suite à la nouvelle orientation prise par la politique locale. On assiste donc à une véritable fragilisation économique du pays, avec une forte hausse de l'inflation, des salaires très bas, une augmentation continue des prix, notamment dans le secteur alimentaire, l'insolvabilité de la dette extérieure, un chômage en constante augmentation, une grande difficulté à trouver les produits de première nécessité, notamment ceux dus aux importations, dont la hausse des coûts est devenue véritablement insoutenable.

En Tunisie, avec une production annuelle de blé très inférieure à ses besoins (environ 20 %), on assiste depuis l'année dernière à une crise majeure du pain, à laquelle s'ajoutent le sucre et d'autres denrées alimentaires, et il semblerait que des camions de ravitaillement aient été attaqués dans le sud du pays. Une crise qui n'est que partiellement due à la guerre actuelle en Ukraine, alors qu'une grande partie est due à la crise économique générale du pays. En fait, la même quantité de céréales et d'autres denrées alimentaires aurait pu être importée d'autres fournisseurs étrangers. Cela n'a pas été possible car le paiement des produits était exigé en espèces, ce qui est actuellement difficile à obtenir en Tunisie en raison des restrictions sévères imposées par les banques qui ne se sentent pas suffisamment garanties. Enfin, il a été ajouté que la banque centrale tunisienne a fixé le taux d'intérêt à 8,7 % en août 2023, de sorte qu'un prêt serait inabordable pour la famille tunisienne moyenne.

Puis, en période de crise, les spéculateurs se sont alors additionnés, augmentant illégalement et sans justification plausible les prix de nombreux produits, même ceux que les vendeurs achetaient avec les subventions de l'État. Le président Saïed a même tenté d'entraver ce commerce illicite des spéculateurs, en faisant arrêter des dizaines d'entre eux. Le secteur des transports est également en crise. En Tunisie, le carburant est relativement bon marché puisqu'il n'y a pas d'accises et que les hausses sont en partie compensées par l'État. Le coût du carburant à la pompe, y compris la compensation pour le producteur et le distributeur, non seulement n'est pas augmenté par les droits d'accise 2, mais une partie est payée par l'utilisateur et une autre par l'État. Toutefois, ces derniers temps, la contribution de l'État a eu tendance à diminuer, ce qui a entraîné une augmentation des coûts du transport et des produits, exacerbant ainsi la crise économique générale déjà existante.

La Tunisie pourrait-elle surmonter la crise économique sans l'aide du FMI ?

Dans cette situation critique, le président Saïed n'a pas encore voulu accepter les conditions du FMI pour un prêt de 1,9 milliard d'euros consistant en des réformes structurelles que la Tunisie devrait mettre en œuvre. Un prêt, sous forme de "contrepartie", pour mettre en œuvre des réformes consistant principalement en la privatisation de certaines entreprises publiques, la suppression ou la réduction des subventions de l'Etat sur l'achat de certaines denrées alimentaires et du carburant, etc. Le Président a refusé, estimant que les réformes demandées étaient extrêmement dangereuses et qu'elles pouvaient mettre en péril la paix sociale. Il a également déclaré que la Tunisie est capable de surmonter les difficultés actuelles car, comme le montre son histoire, elle a déjà réussi à plusieurs reprises à surmonter des obstacles qui semblaient presque insurmontables. Ces affirmations, qui font preuve de confiance et qui peuvent étonner surtout dans la conjoncture actuelle, pourraient trouver une justification dans les accords potentiels existants et ceux en cours de confirmation entre la Tunisie et d'autres pays.

En effet, Saïed a à ses côtés le soutien de l'Égypte, des Emirats Arabes Unis et de l'Arabie Saoudite, qui ont proposé des aides et des investissements dans le pays et dont les objectifs semblent être d'affaiblir les alliances de la Tunisie avec les pays occidentaux. Mais le plus important, pour justifier les déclarations de Saïed, est probablement le fait que la Tunisie s'est ouverte aux BRICS 3, dont les membres sont le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, où la première puissance est actuellement la Chine, qui ont exprimé leur volonté d'aider la Tunisie sur le plan économique.

L'intérêt de l'UE et de l'Italie à soutenir la Tunisie

Après ces brèves informations sur la situation politique et économique en Tunisie, on ne peut que s'interroger sur ce qui a pu motiver l'intérêt marqué de l'UE pour la Tunisie. Et en particulier, s'il s'agissait uniquement de la nécessité de contrôler les migrants en transit de l'Afrique vers l'UE ou s'il y avait d'autres motivations politiques internationales.

La Tunisie, en Méditerranée, jouit d'une position stratégique vis-à-vis de l'Europe et de l'Occident dans son ensemble, et l'UE en particulier a tout intérêt à fournir une aide à la Tunisie pour relancer l'activité de production locale, sauvegardant ainsi les programmes de mise en œuvre conjointe qui ont déjà commencé et qui sont en cours de planification. Un exemple simple est le gazoduc transtunisien Transmed 4, qui achemine depuis des années le gaz algérien vers l'Europe à travers la Tunisie, et le financement européen d'ELMED, un projet très important d'interconnexion électrique promu par les deux grandes compagnies d'électricité : TERNA du côté italien et STEG du côté tunisien. Un projet qui, en prévoyant la construction d'une liaison de 230 km avec une capacité de 600 MW entre la Tunisie et la Sicile, permettra le développement des sources d'énergie renouvelables en Tunisie avec une importante intégration des systèmes électriques entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Ce projet est d'une grande importance stratégique aussi et surtout pour l'Italie, pour la création d'un réseau électrique euro-méditerranéen capable de renforcer notre sécurité énergétique et celle de nos partenaires. En outre, le peuple tunisien est fortement lié au peuple italien. Il y a environ 800 entreprises à participation italienne en Tunisie, qui créent environ 68 000 emplois et représentent environ un tiers de toutes les entreprises à participation étrangère. De nombreuses familles sont d'origine italienne et viennent de différentes régions, en particulier de Sicile, avec laquelle les liens sont encore très forts. À Tunis, près du port, se trouve le quartier de la Goulette, connu sous le nom de "petite Sicile", où des familles siciliennes vivent depuis plus d'un siècle.

Avec le rapprochement de la Tunisie avec les Brics, il est clair que l'UE voit ce pays sortir de sa zone d'influence, et le FMI a pu ressentir une inquiétude similaire. Mais ce à quoi il faut réfléchir, c'est que l'intérêt de la Chine pour la Tunisie n'est certainement pas de nature commerciale, puisque la Tunisie importe de Chine moins de 2% de ce qu'elle importe du reste du monde. Le véritable intérêt semble donc résider dans l'agenda de la Chine, qui souhaite acquérir le plus grand nombre possible de ports et d'infrastructures en Méditerranée afin d'étendre son influence et de faciliter ses échanges avec l'UE, qui représente un marché important pour la Chine. La Chine adopte pour la Tunisie la même tactique que celle qu'elle utilise depuis des années pour pénétrer le marché des matières premières précieuses dans de nombreux pays africains, c'est-à-dire en accordant des prêts et en réalisant des transactions économiques, sans demander en retour le respect des droits de l'homme, contrairement à ce que le FMI et l'UE ont fait récemment à juste titre. Il est donc clair que l'intérêt des BRICS à avoir de plus en plus de pays méditerranéens africains comme voisins est principalement politique et non commercial. Il est maintenant facile de comprendre l'importance de l'accord UE-Tunisie, non seulement pour maintenir des accords stables et en créer de nouveaux avec un pays qui a toujours été un ami, mais aussi pour empêcher la Tunisie de tomber dans les sphères d'influence de la Chine, de la Russie ou de la Turquie.

Sur les migrants en Tunisie

La question des migrants et des droits de l'homme est un sujet crucial et complexe en Tunisie, comme dans toutes les autres parties du monde où ce phénomène est présent. Depuis la fin du siècle dernier, des migrants illégaux en provenance de pays subsahariens et d'autres pays du Maghreb arabe transitent par la Tunisie pour se rendre en Europe. La présence de migrants au cours des dernières années a déjà suscité des inquiétudes quant au respect des droits de l'homme, les migrants étant souvent exploités par des réseaux criminels à des fins certainement non humanitaires, telles que l'exploitation sexuelle, le trafic de drogue ou le travail sous-payé. Le gouvernement tunisien a déjà promulgué la loi n° 2004-6 le 3 février 2004, qui punit l'entrée ou la sortie illégale du pays de plusieurs années d'emprisonnement. Par le passé, les migrants qui étaient interceptés alors qu'ils tentaient de traverser la Méditerranée ou qui se trouvaient illégalement en Tunisie étaient également victimes de mauvais traitements et de mauvaises conditions de détention.

Il semblait qu'avec la nouvelle situation politique en Tunisie, les problèmes des migrants avaient diminué. En réalité, le contrôle de ceux qui traversent les frontières tunisiennes pour atteindre les côtes siciliennes sur des embarcations précaires n'a fait que diminuer. La loi 2004-6, qui ne semblait plus être appliquée, a en fait été ressuscitée suite à la déclaration du président Saïed le 21 février 2023, lorsque, lors d'une réunion du Conseil de sécurité nationale, il a déclaré que les migrants subsahariens illégaux commettaient toutes sortes de crimes sur le sol tunisien et qu'un complot était en cours dans le pays pour l'aliéner de ses caractéristiques tunisiennes et de son appartenance au monde arabe et islamique. Des propos qui ont été qualifiés dans le bulletin d'information en ligne d'Amnesty International du 3 mars 2023 de "propos haineux et discriminatoires, favorisant ainsi la violence à l'égard des Africains noirs".

Signature du protocole d'accord entre la Tunisie et l'Union européenne

Après de longs mois de négociations, le mémorandum d'entente entre l'Union européenne et la Tunisie a été signé le 16 juillet 2023 au palais présidentiel de Carthage, avec une forte médiation de l'Italie. Un mémorandum qu'il est nécessaire de lire dans son intégralité pour pouvoir ensuite émettre les critiques positives et/ou négatives pertinentes sur tout ou partie de l'accord 5. Le mémorandum met en évidence les pactes de coopération sur l'agriculture, sur le transport aérien, sur l'activation d'un Forum d'investissement UE-Tunisie, sur l'activation du projet de câble numérique sous-marin (MEDUSA), qui pourrait être une opportunité permettant à la Tunisie de bénéficier d'une connexion à haut débit, ainsi que de faire de la Tunisie un hub potentiel pour fournir une connectivité internet à d'autres parties du continent africain.

Une partie importante est réservée au chapitre "Migration et mobilité" dans lequel, outre d'importants engagements réciproques, la coordination des opérations de recherche et de sauvetage et la lutte contre les réseaux criminels qui gèrent le trafic illicite d'êtres humains, qui représente certainement le principal stimulant des mouvements irréguliers, sont envisagées. Il est également expressément indiqué que ces actions seront fondées sur le respect des droits de l'homme. Une autre note importante dans ce chapitre est l'engagement à soutenir le retour des migrants irréguliers en Tunisie dans le respect du droit international et de leur dignité et à promouvoir «des voies légales de migration, y compris des possibilités d'emploi saisonnier, à stimuler la mobilité internationale à tous les niveaux de compétences, ainsi qu'à renforcer la coopération sur le développement des compétences d'une manière mutuellement bénéfique». Il convient ici de souligner que l'accord sur le retour des migrants irréguliers en Europe se limite aux migrants tunisiens, car ils sont les seuls à bénéficier de mesures de facilitation. En contrepartie des réalisations prévues dans l'accord, l'UE devrait fournir à la Tunisie 675 millions d'euros pour soutenir l'économie du pays nord-africain.

L'accord Tunisie-UE et le contrôle des migrants

L'accord prévoit donc une avancée importante dans les relations entre l'UE et la Tunisie avec des répercussions qui pourraient également être positives en termes de limitation des migrants irréguliers vers l'Europe qui voudraient transiter par la Tunisie. Tout dépendra de la manière dont les engagements réciproques pris seront mis en œuvre, au-delà des diverses spéculations partisanes qui, avant même la mise en œuvre de ce qui a été convenu, envahissent le monde du web avec des déclarations souvent désobligeantes à titre préventif. En contrepartie des financements prévus, la Tunisie devrait donc empêcher les migrants irréguliers qui ne sont ni des réfugiés ni des demandeurs d'asile d'entrer sur son territoire et renvoyer au-delà de la frontière ceux qui sont déjà entrés illégalement, et prendre des mesures énergiques contre ceux qui ne respectent pas les droits et la dignité des migrants. La Tunisie a promulgué en 2018 une loi pénalisant la discrimination raciale et permettant aux victimes de racisme de demander une indemnisation pour les agressions verbales ou les actes physiques de racisme. Une loi d'ailleurs indirectement évoquée par Saïed dans sa déclaration au gouvernorat de Sfax: «La Tunisie n'acceptera jamais le moindre traitement inhumain infligé à quiconque sur son sol et œuvre pour que tous les immigrés soient en situation légale». Il suffirait maintenant que le Président le mette en pratique à l'égard des migrants.

Il est clair que cet accord vise à contrôler les migrants subsahariens au lieu de le faire au moment de leur arrivée sur les côtes européennes, lorsqu'ils arrivent aux frontières terrestres de la Tunisie, c'est-à-dire le long des frontières avec la Libye et l'Algérie, évitant ainsi la perte de milliers de vies en mer. En outre, le contrôle préliminaire à terre est certainement moins difficile que celui effectué après le débarquement sur la côte sicilienne, lorsqu'un flux énorme de personnes, dont beaucoup sont dans un état physique précaire après la traversée, a besoin d'une assistance sanitaire et sociale immédiate.

Il est maintenant légitime de se demander quelle a été la réaction de la Tunisie après la signature de l'accord et par rapport aux déclarations faites précédemment par le Président Saïed et mentionnées ci-dessus. À l'heure actuelle, il semble que les migrants en général ne soient pas acceptés par la majorité de la population tunisienne en raison de leurs conditions économiques déjà critiques. Par conséquent, en déplaçant le problème vers le sud du pays, en supposant qu'il soit possible de distinguer les vrais réfugiés des demandeurs d'asile, il reste à voir comment le gouvernement tunisien devrait se comporter après leur éventuel accueil. En particulier, il faudrait savoir où les répartir, comment les assister économiquement et socialement, quelle destination finale il sera possible de leur assigner, et enfin si, dans la situation critique actuelle du pays, ils pourront un jour trouver une résidence stable en Tunisie avec l'accès à un emploi qui leur permettra de vivre dignement. Car s'il n'y a pas de réponse sûre à ces questions, on peut supposer qu'il y aura toujours de nouveaux migrants potentiels vers les côtes européennes.

Influence de l'accord Tunisie-UE sur les migrants subsahariens vers l'Europe

Il est également normal de se demander ce que cet accord pourrait représenter pour l'Europe et pour la Tunisie elle-même, dans la partie concernant le contrôle des migrations.

Pour l'Europe, il s'agirait de réduire considérablement le contrôle des migrants sur ses propres côtes et sur celles de la Sicile en particulier, puisque le contrôle serait en fait déplacé le long des frontières des voisins méridionaux de la Tunisie : la Libye et l'Algérie. En effet, pour atteindre la Tunisie, les migrants subsahariens devront nécessairement traverser d'abord 800 kilomètres de désert algérien ou libyen. Une telle distance permettrait aux pays respectifs de mettre en place les mesures nécessaires au contrôle des migrants déjà présents sur leur territoire. Dans ce cas, si Saïed mettait en place des contrôles stricts sans aucun acte de violence ou de prévarication, il pourrait y avoir une première sélection forte en faisant ressortir, avec une bonne probabilité, les vrais réfugiés et ceux qui ont le droit de demander l'asile qui pourraient alors être envoyés en Europe dans des centres d'accueil pour être formés et éduqués afin de pouvoir entrer dans les différents pays européens qui pourraient également exprimer leur volonté de les accueillir.

Si, par contre, Saïed, en désaccord total avec l'UE et peut-être même avec la majorité de sa population, ne mettait aucun veto et donnait le feu vert au passage total sur le territoire tunisien à tous ceux qui en ont la volonté, que pourrait-il se passer ? Comme nous l'avons décrit plus haut, le passage ne se ferait pas sans douleur pour la Tunisie. En effet, les migrants arrivant à la frontière sud ne sont pas des fantômes qui traversent ensuite, sans être vus, quelque 300 à 500 km de territoire tunisien presque totalement désert pour atteindre le point d'embarquement le long de la côte méditerranéenne. Cela signifie que sur le territoire tunisien, le long de la côte, les migrants et les trafiquants d'êtres humains qui les accompagnent se multiplieraient, ayant flairé la bonne affaire. Quant à ceux qui ne pourraient pas prendre le ferry, faute d'argent, ils seraient tentés de se disperser en Tunisie. En fin de compte, nous assisterions donc aux traversées habituelles parsemées de morts dans les eaux de la Méditerranée, tandis que la plupart des chanceux, si nous pouvons les appeler ainsi, finiraient sous la gestion directe des trafiquants d'êtres humains, comme cela est décrit en détail dans cet article.

Considérations finales

À la lumière de ce qui a été décrit ci-dessus, certaines des accusations portées contre les signataires de l'accord "UE-Tunisie" d'avoir stimulé des actions racistes contre le président tunisien peuvent être considérées comme injustes. En effet, la Tunisie, avant même l'accord avec l'UE, a manifesté une intolérance ouverte à l'égard de l'arrivée incontrôlée de milliers de personnes qui, franchissant les frontières libyennes et/ou algériennes, s'installaient illégalement dans le pays, créant à la fois des problèmes d'emploi et de sécurité locale. Le président Saïed, avant même la signature de l'accord, avait déjà pris des dispositions pour empêcher les migrants irréguliers d'entrer en Tunisie, pour des raisons partagées par la majorité de la population et sans que l'UE ne l'ait imposé au préalable. On ne peut donc que critiquer le Président s'il ne prend pas, après la signature de l'accord, des dispositions appropriées pour assurer le respect des droits de l'homme des migrants, en sanctionnant fermement les contrevenants, surtout et encore plus lourdement s'ils appartiennent aux forces de l'ordre.

La référence à l'Union européenne me semble tout aussi injuste, étant donné qu'avec l'accord signé, l'UE soutiendra en fait indirectement les centaines d'entreprises à participation italienne présentes en Tunisie et vise à renforcer les relations de coopération en faveur de la gestion des travaux financés par l'UE déjà réalisés et de ceux prévus, en plus d'influencer les bonnes relations existant entre les Tunisiens et les familles d'origine italienne présentes dans le pays depuis plus d'un siècle. Il faut souligner qu'à travers l'accord signé ci-dessus, l'UE, avec son financement, ne vise pas seulement à minimiser l'effet des migrants, en espérant que la part accordée à cette fin soit un financement "unique", car sinon il y aurait le risque de rester sous un chantage économique potentiel constant pour effectuer un contrôle préventif sur les migrants. Ce serait du "déjà vu", car cela répéterait ce qui s'est déjà passé avec la Turquie d'Erdogan pour arrêter les plusieurs millions de migrants syriens, afghans et irakiens prêts à partir vers l'UE par terre et par mer, ainsi qu'avec la Libye.

Afin de réduire les flux migratoires, un choix important serait de ne pas accorder des financements de manière générique aux pays de départ des migrants, car ils ne seraient pas productifs pour réduire l'émigration, mais de créer des accords pour les investissements visant à créer de nouvelles opportunités d'emploi, en facilitant la coopération internationale.

La situation des migrants économiques tunisiens et subsahariens est différente. Pour eux, il faut impliquer les pays européens et non européens qui souhaitent participer à l'action humanitaire en matière de migration et mettre en place ensemble un programme fonctionnel qui prévoit l'accueil et la formation préventive sur place en vue de leur future intégration sociale dans les pays d'accueil. De cette manière, nous aurions dans l'UE des migrants légaux potentiels souhaités et pleinement acceptables, dont le besoin est grand en raison de la forte diminution de la population au cours des dernières années. En outre, l'immigration illégale, le travail non déclaré, le semi-esclavage et, surtout, la traite des êtres humains seraient éradiqués. Sinon, il est probable qu'il restera toujours des mots, des mots et encore des mots et des déclarations de grands principes humanitaires dont on sait qu'ils resteront sans solution valable.

Notes

1 Parti dissous en juillet 2021 par Saïed.
2 Impôts indirects dont la perception est médiatisée, qui sont payés par les producteurs ou les commerçants et qui affectent certains biens au moment de la production ou de la consommation.
3 BRICS est un acronyme, utilisé en économie internationale, qui identifie cinq pays (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). L'Afrique du Sud a rejoint le groupe en 2010, après la création du BRIC en 2006. Ces nouvelles puissances géoéconomiques ont pour objectif commun de rivaliser sur la scène mondiale avec les rôles traditionnellement joués par les États-Unis et d'autres puissances économiques occidentales. Les pays du BRICS représentent aujourd'hui plus de 42 % de la population mondiale, 25 % de la superficie totale de la Terre, 20 % du PIB mondial et environ 16 % du commerce international.
4 Le gazoduc s'étend de l'Algérie au Cap Bon en Tunisie, puis à Mazara del Vallo en passant par le détroit de Sicile grâce à un tronçon sous-marin.
5 Protocole d'accord entre la Tunisie et l'Union européenne.