Un peu moins de 400 millions d’êtres humains sur cette planète font partie d’un peuple autochtone. Répartis dans près de 90 pays, ils représentent 5% de la population mondiale mais 15% des pauvres.

Qu’est-ce qu’un peuple autochtone ?

« Peuple autochtone » est une terme qui ne présente pas de définition précise et juridiquement contraignante. Certains États refusent l’appellation d’autochtone, ou même de peuple, considérant qu’elle empiète sur leur souveraineté nationale. Malgré tout, des critères communs se dessinent :

  • La continuité historique et territoriale. Un peuple autochtone établi sur un territoire avant tout processus de colonisation. Cela n’empêche pas que ce peuple ne soit pas originaire du pays dans lequel les droits lui sont accordés. En Amérique latine, des droits territoriaux ont été donnés à des peuples tribaux, ancêtres des esclaves déportés d’Afrique.

  • La perpétuation volontaire des spécificités sociales, économiques, culturelles et politiques. On peut citer la langue, la relation avec la terre, l’organisation sociale, les rites religieux, les modes de production, les lois… L’identification en tant que peuple autochtone et sa reconnaissance en tant que communauté distincte par les autres groupes de la société. C’est formulé dans l’article 2 de la Convention 169 relative aux peuples autochtones et tribaux de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) : « Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente Convention ».

La survivance des peuples autochtones

La colonisation a été particulièrement destructrice pour ces peuples dans le monde entier, que ce soit de leur existence physique ou de leur culture. Dans le meilleur des cas, une assimilation forcée a été mise en place, dans le pire, une éradication totale.

Par exemple, en France, où des peuples autochtones vivent en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, le mot d’ordre a été une assimilation forcée, afin de couper tout lien avec leur culture ou tradition autochtones. Les États ont vite compris le potentiel en termes de main-d'œuvre et de ressources naturelles. En Afrique comme en Amérique latine, de nombreux territoires autochtones recèlent de gisements d’or, de minéraux, de pétrole. L’appropriation des ressources, l’idée de la supériorité d’un peuple sur un autre, les maladies physiques ou morales (alcool, drogue, armes à feu, prostitution…) ont été autant meurtrières durant la colonisation que durant les républiques. Auparavant des millions, les peuples autochtones ne cessent de voir le nombre de leurs membres se réduire, et certains ont vu leur communauté entière disparaître. Le Brésil, par exemple, a perdu 90% d’indiens depuis 1500, date de la première vague de colonisation. Cette arrivée s’est accompagnée de massacres, de déracinements, d’évangélisation forcée et d’extorsions de terres.

Une protection internationale

Depuis le début des années 80, la nécessité de protéger ces peuples gagne du terrain sur la scène internationale. De nombreuses conférences se sont tenues et ont participé à donner une meilleure visibilité aux peuples autochtones, tout comme la célébration, le 9 août de chaque année, de la Journée internationale des peuples autochtones.

Le droit international a également tenté de compléter les textes internationaux relatifs aux droits de la personne, qui ont des fondements trop individualistes pour s’appliquer correctement et entièrement à la situation des peuples autochtones.

Le premier texte international dans ce domaine est la Convention n°107 relative aux populations aborigènes et tribales de l’OIT. Texte controversé, car considéré comme prônant une politique d’assimilation pour encourager le développement, il est remplacé en 1989 par la Convention 169, bien plus protectrice des peuples autochtones. Cette convention montre une réelle volonté de respecter les particularismes autochtones. Elle consacre son article 5 à reconnaître les pratiques des peuples autochtones et à engager les États à « adopter, avec la participation et la coopération des peuples affectés, des mesures tendant à aplanir les difficultés que ceux-ci éprouvent à faire face à de nouvelles conditions de vie et de travail. ». C’est le seul instrument international sur les peuples autochtones à être juridiquement contraignant. Mais elle n’est ratifiée que par 22 États sur les 197 reconnus par l’ONU, et ne s’applique donc qu’à eux.

En 2007 est également adoptée la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones et tribaux, plus protectrice encore bien que non contraignante. C’est le texte international le plus avancé en matière de droits des peuples autochtones. Les États ne peuvent restreindre l’application de la coutume autochtone que si elle s’oppose à des normes internationales relatives aux droits de l’homme, au contraire de la Convention 169 qui autorise une telle restriction si la coutume n’est pas conforme aux droits fondamentaux énoncés dans le système juridique national, entraînant ainsi des différences de traitements selon les pays.

L’intérêt de ces textes repose plutôt dans leur interprétation qu’en font les institutions internationales et cours régionales. Leur force est située dans le modèle qu’ils proposent plus que dans les obligations qu’ils engendrent.

Au niveau régional : l’exemple Sud-américain

L’Organisation des États Américains (OEA) a 35 membres. Les peuples autochtones n’ont pas toujours figuré dans les préoccupations de ce système. Ni la Convention interaméricaine ni la Déclaration interaméricaine, ses textes fondateurs, ne les citent. C’est sous l’impulsion de la Cour interaméricaine que le protection entre en ligne de compte. C’est la première juridiction internationale à se prononcer sur leurs droits. Elle protège au meilleur de ses capacités leur droit à la propriété collective de leurs terres, reconnaît de manière formelle leur particularisme culturel et instaure un pluralisme juridique sur le continent.

En 2016, l’adoption de la Déclaration interaméricaine des peuples autochtones, améliore encore leur situation, après plus de vingt ans de délibérations. Une partie de ce texte a été élaboré en collaboration avec les peuples autochtones, et son article 8 revendique la défense générale de leur identité. Elle pose également comme règle que ce caractère identitaire relève de leur privilège et doit être reconnu en tant que tel par les non-autochtones. Des réserves sont à émettre : il n’a aucune valeur juridique contraignante et la souveraineté des États reste prédominante et peut limiter l’autonomie des peuples autochtones. Malgré tout, l’adoption de ce texte reste encourageante pour les peuples autochtones américains. Certains points du texte sont novateurs, particulièrement la situation des peuples autochtones en situation volontaire d’exclusion. Son adoption montre une claire évolution et prouve la capacité du continent à faire évoluer ses textes.

La limite est, ici, toujours la même : la Cour et la Déclaration ne peuvent s’appliquer qu’aux États ayant reconnus leur compétence.

Au niveau régional : l’Afrique, le bon élève

L’Afrique dispose d’un système similaire à son homologue américain, avec une Cour régionale et des textes fondateurs. La Commission africaine a été influencée par son homologue sud-américain et a rendu plusieurs arrêts favorables aux droits des peuples autochtones. Ainsi, en 2009, elle a rendu un arrêt favorable au peuple autochtone Endorois et à son droit collectif à la propriété de ses terres ancestrales, un sujet sur lequel la Cour sud-américaine a été novatrice. Elle y déclare les peuples autochtones africains comme marginalisés au sein de leur propre pays, et nécessitant de ce fait une protection spéciale. Elle leur reconnaît une certaine vulnérabilité entraînant des droits spécifiques et une réparation collective. Elle se prononce aussi sur la libre disposition des ressources naturelles par la communauté, en déclarant que c’est un droit et qu’il a été bafoué dès lors que le Kenya l’a privé de l’accès à ses terres sans compensation adéquate et sans consultation.

Au niveau régional : l’absence européenne

L’Europe dispose également de sa Cour et de ses textes européens, mais protège bien moins les peuples autochtones. Les États européens ont l’obligation de protéger les personnes placées sous leur juridiction, et non pas les groupes. Ainsi, les peuples autochtones ne sont reconnus comme tels par la Cour européenne que si l’État qui les abrite les considère lui-même comme peuples autochtones. Sinon, ils sont de simples citoyens d’un État et ne bénéficient donc d’aucune protection quant à leurs terres, leurs cultures, leurs langues. On peut expliquer cette différence de plusieurs façons. Rappelons que la Cour européenne s’est bâtie sur des États libres, alors que le continent sud-américain et l’Afrique émergeaient de colonisations et de dictatures. L’idée d’une protection s’est plus appliquée au peuple national en Europe, contre les individus contre l'État dans les deux autres régions.

La Cour européenne, malgré de nombreuses protestations civiles, est la seule Cour régionale à n’avoir toujours pas donné de réponse aux peuples autochtones demandant la protection de leurs terres et ressources. En fait, la plupart des pétitions soumises par ces derniers sont déclarées irrecevables. La Cour européenne ne leur reconnaît des droits fonciers, voire même leur existence en tant que peuples autochtones, que s’ils sont reconnus par l’État concerné. Un état à changer, mais qui n’est pas à l’ordre du jour pour ses membres, peu désireux de voir une partie de leur population demander des droits spécifiques à leur situation.